Histoires de mots - 14 février 2023 - 3 min

Histoire d’amour

Du simple béguin à la passion de Don Quichotte pour Dulcinée, l’amour se décline sous maintes formes. Nous visiterons ici toute la gamme d’intensité de l’amour en explorant trois mots qui y sont liés : béguin, donquichotte et dulcinée, auxquels nous ajoutons une agate, que Don Quichotte aurait bien pu offrir à Dulcinée, sachant que le nom de cette pierre aurait été influencé par le nom grec de l’amour.

Bonne Saint-Valentin!

agate

Agate s’écrivait au Moyen Âge acate conformément à son étymologie latine. En effet, le latin impérial écrivait achates, prononcé [akatès] et non pas agates. Le c a été remplacé par un g en moyen français sous l’influence du latin médiéval, qui nommait cette pierre agapis, peut-être parce qu’elle symbolise parfois l’amour, qui se dit agapē en grec. On rencontre aussi des formes en h telles que acathe et agathe, explicables soit par une influence du grec agathos ‘bon’ ou de son dérivé Agathē ‘prénom féminin’ (à l’origine du prénom français Agathe), soit par transfert sur la syllabe suivante du h du latin achates ou de son étymon grec akhatēs.

On explique parfois l’origine du mot grec par le nom homonyme d’un fleuve sicilien. Cependant, il se pourrait que ce soit le fleuve qui ait été nommé à partir de la pierre et non l’inverse. Une origine sémitique serait dans ce cas à explorer.

béguin

Les béguines formaient en Belgique et aux Pays-Bas des communautés de religieuses laïques vivant souvent dans un ensemble de bâtiments appelé béguinage. Dévouées à diverses activités caritatives, elles s’attirèrent des persécutions au cours du Moyen Âge, principalement à cause de la liberté dont elles jouissaient. L’origine de leur appellation est sujette à controverse. Selon une des hypothèses souvent énoncées, elles tireraient leur nom de leur fondateur, Lambert le Bègue (ou le Bège dans les textes wallons), un prédicateur réformateur liégeois du XIIe siècle. L’histoire ne dit pas cependant si son nom trahissait un réel défaut de prononciation, qui serait d’ailleurs étonnant pour un prédicateur.

Au XIVe siècle, on s’inspira du nom de ces religieuses pour désigner la coiffure de toile fine qu’elles portaient : le béguin. Le terme s’étendit aussi à partir du français classique à la coiffe pour enfants qui s’attachait sous le menton avec une bride. Étant donné qu’une coiffe couvre la tête, le siège des pensées, le nom béguin a commencé à dénoter une folie passagère, probablement au cours du moyen français, puisqu’on relève à cette époque le terme dérivé embéguiner dans le sens ‘perdre son discernement’ (s’embéguiner d’une idée). Néanmoins, cette acception n’est relevée à l’écrit qu’à la fin du français classique pour le nom béguin comme tel, la première fois chez Jean-Jacques Rousseau, avec le sens ‘folie passagère’. Notons que béguin n’est pas le seul nom de coiffure qui affiche une telle évolution sémantique; le français possède par exemple les locutions travailler du chapeau et se monter le bonnet, ou encore, faire du chapeau et faire de la capine, en français québécois, qui tournent autour du sens ‘être mentalement perturbé, ne pas avoir de discernement’. Le sens moderne ‘passion passagère’ de béguin vient probablement de ‘amour passager qui fait perdre la raison’.

donquichotte

Don Quichotte est un nom que s’est attribué le personnage d’Alonso Quixano au début du roman l’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche de l’écrivain espagnol Miguel de Cervantès. Don Quichotte était un hidalgo illuminé qui se prenait pour un chevalier errant. Chevauchant un vieux cheval appelé Rossinante et accompagné de Sancho Panza, un paysan naïf montant un âne, il parcourt l’Espagne en se donnant comme mission de protéger les opprimés. Il se croit aimé de deux femmes : la première, Dulcinée, princesse idéalisée à laquelle il jure amour et fidélité; la deuxième, Maritorne, une servante laide, qui tombe par accident dans ses bras.

Dans le nom de don Quichotte, le premier mot signifie ‘seigneur’ et est apparenté de loin au mot dominer; le second a été inspiré de la consonance de Quixano. Le nom propre et le nom commun dérivé par antonomase sont entrés en français au XVIIe siècle. Le ch dans la graphie française Don Quichotte rappelle la prononciation originale espagnole en [ch] du nom de ce personnage au lieu de la prononciation actuelle en [rh] (transcrite par un j : don Quijote).

dulcinée

Comme on l’a vu précédemment, Dulcinée est le nom d’un autre personnage du même roman. Son nom complet, Dulcinée du Toboso (Dulcinea del Toboso en espagnol), est formé d’après dulce, le correspondant espagnol de doux et d’après le nom d’un village réel de la Manche, El Toboso, qu’aurait habité cette femme. Se considérant comme un grand chevalier, Don Quichotte de la Manche idéalise cette simple paysanne, dont il avait été secrètement amoureux dans sa jeunesse, et lui dédie ses exploits pittoresques. Le mot espagnol dulcinea s’est ensuite appliqué de façon générique à la femme aimée. Sous la forme dulcinée, le mot fait son apparition en français au XVIIIe siècle avec le même sens.

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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